Qu’est-ce qu’un Smart Account ?
Hassan :
« Un smart account (dans le sens d’un compte bancaire) est la représentation sur une blockchain d’un compte de dépôt (ou d’épargne) décentralisé. Ce smart account va donc bénéficier de la transparence de la blockchain, de la sécurité d’un registre de donnée distribué, tout en restant sous le contrôle de son propriétaire. De plus l’usage des smart contracts permet d’automatiser son utilisation au quotidien tout en assurant à ce dernier un contrôle précis par son propriétaire. Par exemple, un utilisateur pourra décider que son dépôt ne puisse être engagé que dans le développement d’entreprises solidaires.
On peut élargir ce concept à l’ensemble des produits traditionnels du secteur bancaire comme les dépôts à terme, les crédits immobiliers et les crédits à la consommation et financier, et très rapidement se rapprocher des services offerts par la finance décentralisée, aussi appelé DeFi. Enfin, la tokenisation permet de traduire aussi des actions et obligations en jetons numériques, augmentant ainsi la transparence, la transférabilité et la sécurité. »
Peux-tu nous dire plus sur la crise de confiance dans le secteur bancaire ?
Hassan :
« Le secteur bancaire est de plus en plus soumis à des crises de confiance, et bien qu’il se soit toujours remit ce des dernières les consommateurs sont en quête de solutions qui leur permettrait de se passer de ces acteurs traditionnels. Loin de la vision antagoniste entre la décentralisation et le banquier, il y a au contraire une histoire intéressante à écrire afin de rapprocher le banquier de ces technologies, et ce, afin de gagner en transparence, et en sécurité, tout en permettant à l’utilisateur une meilleure autonomie et contrôle sur ses fonds et dépôts.
Il faut noter qu’à date, le secteur bancaire a été peu enclin à adopter les technologies, et ce, pour diverses raisons.
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- Incertitude réglementaire : la technologie blockchain et les crypto-monnaies étant encore relativement nouvelles et non testées à grande échelle, les régulateurs sont prudents quant à leur impact sur le système financier et se montre très méfiants et protecteurs. Le règlement MiCA signé en 2023 en Europe pourrait changer la donne.
- Éducation technologique : nous devons assurer une acculturation et une compréhension plus larges de ces technologies, et ce au sein mêmes des professionnels de l’industrie, en partant sur une approche « par l’usage » démontrant les apports.
- Besoin d’interopérabilité : La réalisation de l’interopérabilité entre différents réseaux de blockchain peut s’avérer difficile et nécessiter d’importants efforts de coordination et de normalisation. Bien que des solutions soient désormais disponibles (par exemple le protocole de communication inter-blockchain de Cosmos), ces dernières ne sont pas encore assez largement déployées.
- Défis techniques liés à l’évolutivité, à la protection de la vie privée et à la sécurité : Les réseaux blockchain actuels ont des limites en termes de nombre de transactions qu’ils peuvent traiter par seconde, et la nature publique de la blockchain peut soulever des inquiétudes quant à la protection de la vie privée et des données sensibles. Bien qu’il existe des solutions (blockchain privées), celles-ci présentent des limitations, comme une protection contre la censure et au piratage limités, lié au faible niveau de décentralisation de ces réseaux de nœuds. »
Pourquoi un Smart Account peut-il être un catalyseur dans la relation bancaire ?
Hassan :
« Dans le monde de la banque de détail et de la banque commerciale, les comptes courants (également appelés comptes de dépôt) jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de la banque et de l’économie en général. Ils constituent une source de fonds, génèrent des revenus récurrents, permettent d’établir des relations avec les clients, facilitent les transactions interbancaires et assurent aux banques une réserve de liquidités non négligeable. Il semble donc que ces comptes courants doivent être au centre des préoccupations des banques afin de regagner la confiance de leurs clients.
Une récente étude démontre que les banques traditionnelles perdent des clients au profit des néo-banques et des fintechs qui ont fait leur entrée dans le domaine bancaire il y a désormais presque 10 ans. En 2022, c’est ainsi plus de 68 millions de consommateurs américains qui ont déclaré avoir un compte bancaire auprès de ces acteurs (par exemple, Chime, Sofy), 30 millions d’entre eux utilisant ces solutions en tant que banque principale. Il n’est pas surprenant de voir une telle bataille autour de ce produit, car il est au centre de la relation client et constitue un gigantesque réservoir de données clients qualifiées (par exemple via les transactions de paiement par carte bancaires, les opérations sur les comptes, mais aussi les prêts et crédits).
Quant aux clients, ils choisissent les néo-banques et les fintechs pour obtenir un accès plus facile à leurs comptes, des solutions de paiement instantanées, pour accéder à des frais de gestion réduit (et très souvent même nuls) et pour gérer les données de leurs comptes en temps réel.
S’il y a une chose pour laquelle la blockchain est excellente, c’est pour sécuriser les opérations, améliorer l’expérience de paiement et permettre une gestion transparente des données et des transactions. »
Concrètement comment mettre en œuvre un Smart Account ?
Hassan :
« Création du compte intelligent : Ce processus est très similaire à l’ouverture d’un compte bancaire numérique. Cependant, les données seront stockées et sauvegardées sur un contrat intelligent qui gèrera de manière autonome toutes les conditions requises pour ouvrir le compte. Au cours du processus, un actif numérique décentralisé (exemple un jeton non fongible dit « NFT ») ou tout autre actif numérique pourrait être utilisé pour simplifier les exigences KYC au niveau des opérations bancaires.
Dans le cadre du processus, le client sélectionnera ses devises de dépôts et de transactions parmi les choix suivants : fiat (c’est-à-dire euro ou dollar), cryptocurrency (c’est-à-dire bitcoin ou ethereum), ou stablecoin (c’est-à-dire USDT, EUROC).
Grâce au contrat intelligent, le client est autonome dans la gestion de son compte, y compris sa fermeture. Le contrat intelligent est capable de gérer les conditions de fermeture, y compris de la maintenir ouverture le temps que les paiements en suspens soient traitées et reconciliés.
Gestion des dépôts intelligents : Une fois l’inscription terminée, le client peut gérer ses fonds via son application bancaire. Le consommateur peut opter pour un dépôt à durée déterminée ou indéterminée sur son compte. La banque crée alors un contrat intelligent lié au compte intelligent qui enregistre les conditions du dépôt, telles que le taux d’intérêt, le montant du dépôt, et sa date d’échéance.
Le client pourrait aussi choisir la manière dont ces fonds pourront être utilisés par la banque dans le financement de l’économie réelle (par secteur, industrie, niveau de risque,…).
Une fois l’enregistrement du contrat intelligent finalisé sur la blockchain ce dernier opère de manière autonome pour les opérations et le traitement des intérêts. Tant que les conditions de clôture du contrat ne sont pas remplies, ni la banque ni le client ne peuvent interrompre le processus. À la date d’échéance, le contrat intelligent débloque les fonds initiaux et les intérêts courus sont remis au propriétaire du compte.
Extension des services : Le compte intelligent étant lié à une blockchain, la banque pourrait facilement étendre le domaine des services fournis, y compris à des produits de la finance décentralisée. Bien que ce ne soit pas l’objet du présent document, le banquier pourrait fournir aux consommateurs des services à valeur ajoutées (exemple staking), et in-fine représenter pour la banque des sources de revenus complémentaires. Il existe des centaines de solutions déjà en place qui peuvent être facilement connectées à un compte intelligent basé sur la blockchain. »
Un projet ? Une problématique ?
Hassan El Bakkali, Directeur Associé chez Ceres Advisory